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Cycle de journées d’étude

"Les mots de la science"

Appel à communication pour les deuxième et troisième journées d’étude

mercredi 22 janvier 2014, par Blandine Perona

Projet coordonné et organisé par Violaine Giacomotto-Charra (Bordeaux 3 – TELEM / MSHA) et Myriam Marrache-Gouraud (Université de Bretagne Occidentale – Brest, HCTI EA 4249)

L’histoire des sciences et des savoirs à la Renaissance se heurte à un problème constant et profond :
celui de l’exacte nature du lexique scientifique et de sa progressive inscription dans les différentes langues
vernaculaires, à une époque d’importantes transformations linguistiques, conceptuelles et scientifiques. Si
le lexique savant médiéval et celui de la période classique commencent à être bien étudiés, la période
1450 – 1630, de la naissance de l’imprimerie à la « révolution scientifique », est une période d’entre-deux
encore mal explorée, tant du point de vue de l’histoire des sciences et des savoirs, que du point de vue
du lexique savant qui sous-tend et incarne cette histoire, en latin ou en vernaculaire.

Le projet d’un travail sur le lexique savant de la Renaissance est donc né d’un constat simple, fait
par un ensemble de chercheurs littéraires, linguistes et /ou historiens des sciences et des savoirs venus de
disciplines différentes (médecine, mathématiques, philosophie naturelle, zoologie, botanique...) : nous
manquons d’outils performants pour comprendre ce lexique et savoir le lire sans anachronisme. En
outre nous devons, nécessairement, prendre en compte un aspect crucial du problème, le passage du
latin, et parfois du grec, aux langues vernaculaires, et le dialogue presque constant entre les cultures
gréco-latine et vernaculaire. L’outil linguistique ne peut cependant être appréhendé comme une entité en
soi ; il demande constamment d’être examiné au prisme des realia d’une époque (collections, antiquaires,
archéologie des objets servant aux artes...)

Pour commencer à donner vie ce projet, l’équipe « Formes du savoir » (Bordeaux 3), associée à
l’équipe HCTI (Brest), organise un cycle de journées d’études, intitulé « Les mots de la science à la
Renaissance », dont la première a été consacrée aux noms par lesquels la science et le savoir se désignent
eux-mêmes : science, connaissance, savoir, curiosité... (Bordeaux, 10 janvier 2014). Nous nous
proposons de poursuivre cette journée introductive, par l’étude de deux catégories de mots qui sont
revenus constamment dans le champ des recherches, mais qu’il est nécessaire de distinguer et
d’ordonner : la série des mots du regard et de l’observation, d’abord, celle des mots de l’expérience,
ensuite.

APPEL À COMMUNICATIONS POUR LA SECONDE JOURNÉE

Brest, 20 mai 2014

« Vision, observation, autopsie : le regard scientifique et ses mots à la Renaissance »

La seconde journée se propose d’étudier le lexique scientifique attaché au regard dans les sciences :
vision, observation, autopsie, et de mesurer quel est le sens précis que chacun (savant, homme de cabinet
ou voyageur, médecin, naturaliste ou astronome...) donne aux mots qui décrivent le regard ou le rôle
qu’ils lui confèrent dans la recherche. La perspective adoptée est toujours résolument interdisciplinaire,
afin de comprendre quelle charge sémantique ces mots peuvent prendre selon qu’ils sont prononcés ou
écrits dans un cadre scientifique ou philosophique, voire réinvestis dans des formes littéraires dont
l’enjeu reste la divulgation de la science (poésie philosophique, astronomique, par exemple). Le
naturaliste Pierre Belon est catégorique :

combien que les aveugles puissent philosopher et contempler les choses, les pensant en leur
esprit, si est-ce qu’il y a des choses en nature qu’il faut necessairement avoir veues pour en
avoir la science.

Ce faisant, il distingue deux voies de la connaissance : par l’esprit – c’est-à-dire par le raisonnement et
l’intellect – et « par ce qui s’offre tout manifeste à noz sens ». Ces deux aspects complémentaires, par la
pensée et l’usage de la raison d’une part, et par l’observation du réel d’autre part, semblent indissociables
pour accéder à une saisie scientifique des objets que l’on étudie (« pour en avoir la science »). Il oppose
ainsi deux figures majeures, Démocrite et Aristote : Démocrite, modèle dont il se détourne parce qu’il
« se priva volontairement de la lumiere de ses yeulx, sans avoir aucune autre occasion évidente de ce
faire, sinon que, se voulant delivrer des empeschemens qui adviennent à ceulx qui voyent clair, pensa que
les discours qu’il pretendoit faire à son plaisir en seroyent plus hautains et exquis, et auroit son esprit
plus à delivre, s’estant osté l’empeschement qui provient par la lumière des yeux » ; Aristote, au contraire,
constitue une référence pour Belon, en ce que le philosophe grec parvient au plus haut degré de science
en privilégiant la connaissance des faits de nature, ce qu’« il n’eust sçeu faire sans l’observation oculaire
du naturel des animaux ».

À une époque où l’on ne se contente plus, dans les disciplines savantes, de la lecture des sources
antiques, mais où celles-ci sont souvent passées au crible de l’observation personnelle in situ jugée
toujours plus fiable qu’une connaissance reçue par « ouï-dire » , et où l’on n’hésite pas à effectuer de
longs voyages pour se rendre compte « par soi-même » et « au vif » des réalités que l’on souhaite étudier
ou que l’on est chargé d’observer pour le compte d’un roi ou des premières institutions et collections, les
mots qui définissent le regard du savant ou du curieux sont amenés à jouer un rôle crucial, non
seulement pour « dire » mais pour permettre à celui qui n’a pas vu de partager ce savoir et de l’acquérir
par les mots (innutrire disait Montaigne).

On s’attachera donc à en comprendre le ou les sens des différents mots liés au regard selon leur
contexte d’apparition, que ce soit dans les récits de voyages, les ouvrages de médecine, les traités
d’astronomie, de botanique, de zoologie et plus généralement tout ouvrage lié à l’exposé textuel de la
science. Il importera également de s’interroger sur la manière dont ces termes, qui impliquent des
méthodes nouvelles, bousculent les hiérarchies existantes dans les techniques des savants autant que
dans la révérence due aux catégories antiques, et prennent une valeur opératoire pour remettre en
question la notion même de vérité, d’une manière dont nous sommes aujourd’hui sans doute les
héritiers. Elles engagent en effet de nouvelles pratiques savantes, et engendrent de nouveaux lieux pour
l’exercice des savoirs (amphithéâtre, laboratoires, cabinets...), dans lesquels le rôle du regard est
essentiel, ainsi que de nouveaux publics. On devra vérifier si l’évolution de ces mots a en outre des
conséquences sur la conception du livre, si d’une part, le statut de l’illustration, ses techniques et sa
valeur de représentation du réel vont en être modifiés, et d’autre part, sur quelles bases réelles de
l’observation, des genres que la critique a longtemps présentés comme nouveaux, tel le genre des
Observationes en médecine, sont fondés. Apprendre, savoir, ainsi, ne vont pas sans voir, aussi vrai que
Pantagruel, qui manifeste un « appétit strident » de savoir, est dit « desyrant tous jours veoir et tous jours
apprendre ». Les découvertes et les évolutions scientifiques de la Renaissance semblent particulièrement
liées à la question de l’observation, et de la diffusion des images qui en sont issues.

Les propositions de communication pourront donc porter sur des questions attachées au texte aussi
bien qu’à l’image, quand cette dernière entre dans le cadre précis d’une controverse savante liée à
l’observation ou pour définir l’organe et le mécanisme (traités d’optique) de la vision. L’étude du lexique
de la vision chez un auteur précis peut être envisagée, afin de faire ressortir la variété et la
complémentarité des mots et de leurs développements sémantiques, comme on pourra évoquer des
contextes lexicologiques plus larges, en diachronie par exemple, pour mesurer les évolutions perceptibles
de la langue latine à la langue et aux usages vernaculaires, ou en comparant l’usage d’un même mot chez
plusieurs auteurs, dans plusieurs disciplines ou dans des dictionnaires. Il sera bon de s’interroger sur les
conceptions du regard qu’impliquent la charge notionnelle des mots qui le désignent, en particulier les
différentes manières selon lesquelles la vision est considérée comme voie d’accès aux savoirs, ainsi que
dans son articulation avec la notion de représentation (« portrait », « arrangement », « description », « au
naturel », « au vif »...), ces quelques suggestions n’ayant rien d’exhaustif.4

Les propositions de communication, accompagnées d’un bref résumé, doivent être renvoyées à Myriam Marrache-Gouraud (myriam.marrache-gouraudatuniv-brest.fr) et à Violaine Giacomotto-Charra
(violaine.giacomottoatu-bordeaux3.fr) avant le 15 mars 2014.

APPEL À COMMUNICATIONS POUR LA TROISIÈME JOURNÉE

Bordeaux, 17 octobre 2014

« L’on ne doibt faire difficulté d’essayer tous experiments » :
l’expérience et ses mots à la Renaissance

(en collaboration avec Jacqueline Vons, Université François Rabelais, Tours)

Dans le prolongement raisonné de la journée sur les mots du regard, qui engagent profondément la
question de la prise en compte du réel et de sa description dans la constitution des savoirs scientifiques,
nous souhaitons poursuivre la réflexion sur la manière dont se construit le rapport théorie / pratique
dans les savoirs renaissants, et en particulier sur la notion polysémique de l’expérience, dont on restreint
généralement l’usage et le rôle à l’une des composantes distinctives de la science telle qu’elle se conçoit et
se construit après la dite « Révolution scientifique ». Dès le Moyen Âge, pourtant, le terme d’expérience
est attesté dans le sens d’un savoir acquis « par observance et experience », qui peut avoir de ce fait
valeur de preuve. Ce mot, ainsi, est omniprésent dans les textes scientifiques de la Renaissance, qu’il
s’agisse de découvrir par expérience, d’apprendre par expérience ou de démontrer par expérience. Que
l’idée soit simplement d’appréhender par les sens (en particulier par la vue), ce qui implique déjà un
rapport complexe au regard et à la maîtrise du savoir, d’avoir acquis un savoir grâce à une longue
pratique, dont la conséquence est le « savoir-faire », ou, déjà, de construire des essais probants,
l’expérience est, comme la notion d’observation, une donnée importante pour le discours scientifique
renaissant, car elle interagit avec le savoir transmis par le livre et permet de le vérifier, de le corriger, de
l’illustrer ou d’en organiser la démonstration. Selon une perspective semasiologique, on pourra donc
s’interroger sur la signification exacte que reçoit ce mot employé par les naturalistes, les médecins, les
voyageurs, les encyclopédistes et tous gens de savoir, en latin comme en vernaculaire. Quelle différence
fait par exemple le latin renaissant entre experientia, expers, experior, experimentum ? Comment les nuances
impliquées par l’existence de ces termes se résolvent-elles dans le passage dans les différents
vernaculaires ? Le doublet français entre « experience » et « experiment », encore attesté au
XVIe
siècle,
est-il le miroir du latin ? Comment, par ailleurs, s’organisent les champs respectifs de l’expérience et de la
pratique ? Et leur traduction textuelle ? Le recueil de cas, par exemple, est-il un genre lié à l’expérience
comme peuvent l’être les Observationes ? L’évolution des termes implique-t-elle une redéfinition de la
conception des savoirs et de leur hiérarchie ? Que devient la distinction aristotélicienne technè / épistémè /
praxis dans un tel contexte ?

Mais, s’agissant d’une notion aussi capitale pour l’histoire des sciences que celle d’expérience, on
pourra aussi suivre une démarche onomasiologique et s’interroger sur l’existence du concept que nous
nommons « expérience » et des mots qui le disent. Les notions d’expérience construite, d’expérience de
pensée, d’expérience cruciale, l’idée que l’expérience est quantifiable, reproductible sont-elles en germe
ou déjà présentes dans la pensée renaissante ? Que ce soit à partir de l’étude des mots en leur contexte,
de l’étude des conditions matérielles de l’expérience, ou de celle des concepts et de leur traduction
linguistique propre à une époque, ces journées se donnent pour but de cerner la notion d’expérience à
travers l’usage réel qu’en font les hommes de savoir de l’époque.

Les propositions de contribution doivent être adressées à Violaine Giacomotto-Charra
(violaine.giacomottoatu-bordeaux3.fr), Myriam Marrache-Gouraud (myriam.marrache-gouraudatuniv-
brest.fr) et Jacqueline Vons (jacqueline.vonsatorange.fr) pour le 15 mai 2014.

Voir le descriptif complet du projet et les sujets prévus pour les autres journées sur le site des Formes du savoir

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