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Regards croisés sur Jean Thenaud (c. 1480-1542) : un acteur important au carrefour du Moyen Âge et de la Renaissance.

Appel à communications

jeudi 2 mai 2013, par Blandine Perona, Guillaume Berthon

Projet de journée d’étude - Montpellier, 7 février 2014.

Auteur d’un Voyage d’outremer (effectué de 1511 à 1513), d’une série de Triumphes allégoriques (1517-1518) dédiés à Louise de Savoie et à ses enfants [1], ainsi que de plusieurs traités de mythographie et de kabbale chrétienne (La Lignée de Saturne, La saincte et très chrestienne cabale metrifiée et sa seconde version en prose, le Traicté de la Cabale [2]), le franciscain Jean Thenaud, aumônier de François Ier, est l’un des acteurs importants de la rencontre des cultures dites « médiévale » et « renaissante ». En croisant les regards de spécialistes des deux périodes, on se propose de le mettre en lumière à travers sa biographie (relations avec Louise de Savoie, François Demoulins, Marguerite de Navarre, François Ier et les humanistes), de réévaluer son apport dans le domaine culturel et religieux (relations avec le Judaïsme et l’Islam), d’apprécier enfin sa contribution à l’évolution des formes littéraires tardo-médiévales, particulièrement le songe allégorique, dont les Triumphes représentent l’un des derniers chefs d’œuvre.

Ce projet fait suite à la redécouverte de l’auteur, longtemps connu par une simple mention facétieuse dans l’œuvre de Rabelais. Entamée par les travaux de G. Mallary Masters sur La Lignée de Saturne [3], sa redécouverte a pris de l’ampleur avec l’ouvrage d’A.-M. Lecoq, François Ier imaginaire (1987). Elle s’est poursuivie par l’édition du Traicté de la Cabale par I. Christie-Miller et F. Roudaut (Champion, 2007), et par celle des Triumphes de Vertuz par Titia J. Schuurs-Janssen et René E. V. Stuip (Droz, 1997-2010), ainsi que par des articles sur sa présence dans l’œuvre rabelaisienne (P. Smith et G. Polizzi).

En coordonnant ces différentes perspectives, on propose d’en faire une synthèse destinée à recomposer l’unité de cette figure, autour des rubriques et des problématiques suivantes, ouvertes aux contributeurs :

1) Thenaud, la politique et la cour : questions biographiques

La biographie contient encore des zones d’ombre quant à l’intention première et à la réception des œuvres. On sait par exemple que Thenaud, attaché à titre personnel à la maison des Angoulême, a bénéficié de la protection éclairée de Louise de Savoie, et de la confiance de François Ier ; on ignore en revanche dans quelle mesure son voyage en Terre sainte, effectué au nom du futur roi, répondait au projet politique d’une croisade ou d’une tentative de conciliation avec l’Islam. Il en va de même de ses relations avec Budé et Erasme, dont Thenaud est en France le premier traducteur : sa version française de l’Eloge de la folie, insérée dans le premier Triumphe, reflète-t-elle une volonté politique d’ouverture à l’humanisme et à un certain évangélisme, ou n’est-elle que l’appropriation d’une nouveauté littéraire ? La question des motivations politiques se pose tout autant, et avec non moins d’insistance dans les traités successifs de la « kabbale chrétienne », expressément composés à la demande de François Ier. De même, la question de ses rapports personnels avec Rabelais, soulevée sous un jour neuf par P. Smith, réclame d’autres enquêtes.

2) Mélange et confrontation des cultures

Dans une parfaite continuité avec le voyageur Félix Fabri, Thenaud est l’une des principales figures à nous avoir laissé une relation de voyage en Terre sainte, détaillée et vivante. L’œuvre peut être le support d’une enquête sur les formes du voyage en Orient dans la première décennie du XVIe siècle (voir M.-C. Gomez-Géraud [4]) : comment et sous quelle forme s’y énonce le constat de l’altérité, mais aussi de la ressemblance, entre des cultures antagonistes ? La compréhension de l’Islam (Égypte des Mamelouks, mais aussi la Turquie, future alliée de François Ier) suppose une conscience des points communs. Thenaud y est préparé par sa culture franciscaine, peut-être aussi par son expérience de la cour. Par ailleurs, une connaissance même rudimentaire de l’hébreu et de la kabbale qu’il transpose et résume autant que possible, est aussi la marque d’une ouverture religieuse et culturelle qu’on associe à l’humanisme et à l’évangélisme de Jacques Lefèvre d’Etaples et de Johann Reuchlin, mais qu’on pourrait aussi bien rapprocher de modèles plus anciens (Nicolas de Lyre, André de Saint-Victor). Enfin, sous cet angle, la question de l’influence de Thenaud reste posée : comment situer son point de vue dans le courant de ceux (Guillaume Postel, Blaise de Vigenère) qui, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, cultiveront les mêmes intérêts ?

3) Les formes littéraires : innovation et tradition

Mais c’est dans le domaine des formes littéraires, par la composition de ses quatre Triumphes, que l’apport de Thenaud semble le plus marquant. Leur écriture combine les formes de la relation de voyage à celles, plus codifiées, du songe allégorique, renouvelé de l’intérieur et atteignant de ce fait une ampleur exceptionnelle : raccordés les uns aux autres, les quatre volets de l’œuvre agencent vingt-huit paysages minutieusement construits, peuplés de figures exemplaires et mises au service de l’éducation morale et politique du prince. Par leur complexité et leur précision, ainsi que l’ensemble exceptionnel des enluminures qui les représentent, ils méritent l’attention. En outre, cette ampleur n’est pas sans précédents : parmi les modèles français de Thenaud, on relève le Roman de la Rose, les Pèlerinages de Diguleville, le Livre de Mandevie de Jean Dupin, tous republiés par Vérard au début du siècle ; parmi les italiens, on note des emprunts à la Divine Comédie, au Quadriregio de Federico Frezzi (1346-1416), ainsi qu’au Songe de Poliphile (1499), longtemps avant sa traduction. Faire la synthèse d’œuvres aussi différentes est un tour de force qui, tout en marquant un renouveau dans la conception du paysage littéraire, prélude pourtant à l’extinction du genre, dont témoignera vingt ans plus tard le Voyage du chevalier errant de Jean de Cartheny, premier (?) songe allégorique déguisé en « voyage imaginaire ».

Il va de soi que ses questions, qui suggèrent la variété, la richesse et l’intérêt de l’œuvre, sont trop complexes pour être résolues dans le cadre d’une simple journée d’étude. Toutefois, il importe de les poser : une première journée, organisée à Montpellier dans le cadre du CEMM (en collaboration avec le laboratoire ILLE de l’Université de Mulhouse) en sera l’occasion. Elle regroupera et articulera les propositions des contributeurs en fonction de leur contenu et selon les domaines qu’on a définis. Elle se veut un jalon ou une étape préliminaire dans le cours d’une recherche interdisciplinaire et trans-séculaire, visant à mettre en lumière les rencontres entre Moyen Âge et Renaissance.

Isabelle Fabre – Gilles Polizzi
Université de Montpellier – Université de Haute-Alsace Mulhouse

P.-S.

Illustration : Jean Thenaud, Traicté de la Cabale, Genève, Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 167, f. 77v (http://www.e-codices.unifr.ch/en/bge/fr0167/77v/medium).

Notes

[1Ms. de Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, Fr. F. v. XV, 1 ; Paris, B.n.F., fr. 443 et Paris, Arsenal 3358 (vol. 1 : Triomphe de Prudence et de Force) ; Paris, B.n.F., fr. 144 (vol. 2 : Triomphe de Justice et Tempérance).

[2Connu aussi sous le titre : La Cabale et l’estat du monde angélic ou spirituel (ms. Arsenal 5061), c. 1520.

[3Jean Thenaud. La lignée de Saturne (B.N., Ms. fr. 1358) suivi de La Lignée de Saturne ou Le Traité de Science Poétique (B.N. Ms., fr. 2081) , Genève, Droz, 1973.

[4Écrire le voyage au XVIe siècle en France, P.U.F., 2000 ; Le Crépuscule du Grand Voyage. Les récits de pèlerins à Jérusalem (1458-1612), Champion, 1999.

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