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D’Adonis à Alexandre. Cartographie du masculin de la Renaissance aux Lumières dans les littératures européennes.

Appel à communication expirant le 10 juin 2014.

jeudi 20 février 2014, par Guillaume Berthon

Colloque international organisé par l’association Cornucopia et par le Centre de Recherche en Littérature comparée de Paris-Sorbonne (5 et 6 juin 2015 à Paris).

Adonis, Alexandre, Isaac, Jacob, Henri VIII, d’Artagnan, Casanova, Jean-Jacques, Hippolyte, Hamlet, mais aussi les Amazones et Jeanne d’Arc... toutes ces figures historiques, mythologiques ou fictionnelles interrogent à leur façon notre rapport au masculin. L’exercice de la masculinité prend des postures variées, différentes et étonnantes.

En juin 2012, le colloque comparatiste « Fiction(s) du masculin » s’est donné pour objet d’offrir des perspectives sur ces représentations dans les littératures du XIXe au XXe siècle, afin de montrer à quel point l’identité masculine était soumise à des projections culturelles variables.
Nous souhaitons prolonger le questionnement vers les siècles antérieurs, plus particulièrement à un moment où les sexes et leurs attributions se sont redéfinis pour prendre une forme moderne dont nous héritons encore aujourd’hui.

L’objet de ce colloque sera donc « l’homme en tous genres » (pour reprendre le titre du livre dirigé par Gary Ferguson, L’homme en tous genres : Masculinités, textes et contextes, 2009) à travers les littératures de la Renaissance jusqu’aux Lumières. L’objectif est d’arpenter la sphère du masculin afin d’en proposer une cartographie : quelles en sont les frontières et les différentes contrées ? Qui fixe les bornes, qui les franchit, comment se meuvent-elles et en fonction de quels critères, quels sont les no man’s land du masculin ?

La Renaissance voit naître un vif débat sur les rôles des hommes et des femmes dans la société, la Querelle des femmes, sans améliorer pour autant le statut de ces dernières. Elle semble donc constituer un terminus a quo pour toute réflexion sur le genre. Au XVIIIe siècle apparaît l’homme sensible, théorisé en particulier par les écrits dramatiques de Diderot et par les réflexions, d’ordre davantage philosophique, de Rousseau, mais également par les écrits de Goethe, dont le Werther essaime dans toute l’Europe et constitue un modèle désormais incontournable pour les auteurs de fictions. Entre ces deux pôles, ce que l’on désigne comme l’homme apparaît souvent insaisissable.

Les qualités de l’homme idéal semblent pourtant bien connues : le courage, la virtus, est l’une des marques privilégiées de la virilité au point qu’une femme en armes est qualifiée de virago. Selon La Mesnardière (Poétique, 1639) les hommes « seront solides, rudes, hardis, généreux, chagrins, résolus, avares, prudens, ambitieux, tranquilles, fidelles et laborieux ». En contrepartie, l’auteur se moque des « Scipion affeté », « Alexandre muguet » et autres « Cyrus coquet, délicat, parfumé », tout comme Boileau qui conspue les héros « damerets » (Dialogue des héros de romans, 1688). Dans Artamène ou le Grand Cyrus (« Histoire de Sapho », 1649-1653), Madeleine de Scudéry propose une définition plus nuancée de l’idéal masculin : le brutal Charaxe n’a aucun attrait, alors que Phaon, « civil, doux & complaisant », remporte tous les suffrages. Du XVIe au XVIIIe siècle, les critères se déplacent : si, en 1677, il n’est pas permis à l’Hippolyte de Racine d’être un homme à moins d’être amoureux, trois quarts de siècle plus tard, Voltaire dénonce à son tour les « damerets » galants qui dévirilisent la scène (Correspondance, 31 décembre 1749). L’Emile de Rousseau fixe les bornes d’un domaine masculin qui a conquis la sensibilité, au moment où Diderot fonde, dans ses drames, une anthropologie de l’homme larmoyant et tendre ; le chemin est long, si l’on songe que La Mesnardière proscrivait l’usage des larmes pour Ulysse.

Le physique de l’homme idéal n’est pas plus évident : « Quelle grandeur rend l’homme vénérable ? / Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ? », demande Louise Labé (Sonnet XXI, Euvres, 1555), qui remarque ainsi que les blasons ne canonisent que la beauté féminine. Montaigne qui se dit « d’vne taille au dessous de la moienne » affirme que « Les autres beautez sont pour les femmes ; la beauté de la taille est la seule beauté des hommes » (Essais, II, 17). Pourtant, ceci ne veut pas dire que les linéaments du physique idéal de l’homme ne sont pas tout aussi figés et contraints que ceux de la femme : la beauté masculine est-elle moins codifiée et moins uniforme que celle des femmes ?

Un certain nombre de personnages chez Shakespeare (Viola, Rosalind...), évoquent et transposent les troubles érotiques soulevés par l’androgynie ou l’ambiguïté sexuelle. Les histoires de travestissement sont souvent le lieu d’une interrogation sur ce qui constitue l’homme. Parmi ses nombreux récits à visée morale, Jean-Pierre Camus ne manque pas de condamner le travestissement d’un homme en femme, ou inversement : il juge que cet acte devrait être puni aussi sévèrement que les crimes d’un faux-monnayeur, car il y voit une même tromperie sur la nature de l’objet, sans toutefois renoncer à l’utiliser dans ses histoires. Chez l’Arioste, Bradamante se transforme en bourreau des cœurs féminins par le simple fait de revêtir une armure, et étonnamment, souvent, l’homme à femmes est l’homme efféminé (comme Égisthe, Pâris, etc.). Quant à l’histoire de Marie-Germain, elle véhicule une problématique de devenir-homme dans un contexte social restrictif. Peut-être même la période de la Renaissance aux Lumières est-elle plus propice aux nuances et aux ambiguïtés que d’autres et peut-elle contrecarrer les présupposés actuels postulant l’existence d’une crise du masculin, qui résulterait de la mise en question de son essence.

L’homme est multiple et se détermine sans cesse en contraste avec ce qui constitue l’Autre, dont les signes distinctifs sont tout aussi mouvants, si bien que le masculin semble finalement insaisissable dès que l’on délaisse le sexe pour le genre. Quel regard les Occidentaux portent-ils sur les hommes de l’ailleurs, en termes de virilité et de masculinité ? À partir de quel moment la brutalité et la barbarie de l’homme le déshumanisent-elles ? Par quels moyens accuse-t-on (voire invente-t-on) certains traits pour distinguer à tout prix les hommes des femmes ? Interroger le masculin, c’est se heurter à une notion presque toujours définie de manière négative, en contrepoint et par ses contre-modèles : le masculin est avant tout ce qui n’est pas marqué du sceau du féminin, ou ne devrait pas l’être. Alors que l’Autre, le féminin, reçoit une définition, celui qui, aux époques anciennes où domine l’écriture masculine, est le plus souvent le Même, ne semble pas appeler de description. Les figures frontalières sont, de ce fait, essentielles pour cerner le masculin : androgynes, mignons, muguets, damerets mais aussi viragos peuplent le discours critique, pour définir un repoussoir auquel devrait s’adosser le héros généreux et vaillant – mais celui-ci est bien rarement objet de réflexion en lui-même. Face à l’idéal masculin imposé par les ouvrages normatifs, qui d’ailleurs ne vont pas tous dans le même sens, quelle est la part de jeu dans les clichés ? À quel point les prenait-on au sérieux et avaient-ils un caractère prescriptif ? Quel sort est réservé à ceux qui transgressent les frontières du genre ?

L’incertitude et la transgression ne sont pas uniquement les caractéristiques d’une masculinité contemporaine. Au-delà des figures masculines, le questionnement pourrait se diriger vers le désir au masculin et du masculin, en interrogeant les liens entre les hommes : filiaux et paternels, fraternels, amicaux, sexuels, dans le contexte social et leur transposition et expression dans les littératures européennes. Les outils analytiques des gender studies et des queer studies proposent des lectures du masculin au croisement de l’identification et du rejet. Notion fluide, le masculin se représente sous divers masques – l’écrivain, l’acteur, le personnage, le penseur, le compagnon de la femme et celui qui s’en démarque, de multiples manières. C’est à déconstruire ce jeu de masques que nous invitons les participants à ce colloque afin de comprendre comment le masculin peut se saisir pour établir une cartographie évolutive et diachronique des rapports entre homme et femme.

Des propositions de communication sur tout type de littérature et de discours sont les bienvenues (discours normatifs et transgressifs, fictions, traités médicaux, représentations dramaturgiques de l’homme ...). Elles devront comporter un titre et ne pas excéder une demi-page. Elles seront à envoyer à l’adresse colloquemasculinparis2015@gmail.com, jusqu’au 10 juin 2014. Le colloque, organisé au sein du CRLC (Centre de Recherche en Littérature Comparée, http://www.crlc.paris-sorbonne.fr/) et de l’association Cornucopia (http://www.cornucopia16.com/), aura lieu à Paris les 5 et 6 juin 2015.

Appel rédigé par Anne Debrosse, Marie Saint Martin, Aurélia Tamburini, avec la collaboration d’Ivana Velimirac.

Comité scientifique :
Sandra Boehringer, Valentina Denzel, Florence Dupont, Gary Ferguson, Véronique Gély, Nathalie Grande, François Lecercle, Véronique Lochert, Florence Lotterie, Fiona Macintosh, Zoé Schweitzer, Violaine Sébillotte-Cuchet, Clotilde Thouret.

Comité d’organisation :
Véronique Gély, Anne Debrosse, Marie Saint Martin, Aurélia Tamburini.

Adresse de contact et d’envoi des propositions :
colloquemasculinparis2015@gmail.com

P.-S.

Illustration : René Boyvin, Tête masquée, gravure sans date (source : Web Gallery of Art).

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